[Expo] «Chaleur humaine» à Dunkerque ou la belle énergie de la deuxième édition de la triennale Art et industrie
Plus de 200 pièces sont exposées dans le cadre de la Triennale «Art et Industrie», qui s'ouvre à Dunkerque (Nord) le 10 juin 2023. Cette édition baptisée «Chaleur humaine» propose un vaste choix d'œuvres s'intéressant à la question de l'énergie dans toutes ses dimensions. Le résultat est (très) critique et (très) passionnant. Zoom sur quelques œuvres de jeunes artistes.
C'est sûrement une conséquence des choix affirmés et pertinents des deux curatrices, Anna Colin et Camille Richert, mais les œuvres proposées dans le cadre de la deuxième triennale Art et industrie, qui s'ouvre le 10 juin à Dunkerque, témoignent de la défiance à l'égard d'un progrès infini et d'une industrie aux vertus émancipatrices. Les œuvres sélectionnées ont toutes moins de cinquante ans et ont donc été proposées au public après 1973, soit la dernière année d'insouciance relative, avant le premier choc pétrolier, et un an après la publication du rapport du Club de Rome s'inquiétant des limites de la croissance. En outre, les travaux proposés proviennent d'un arc allant du Royaume-Uni aux Pays-Bas, en passant par la France et la Belgique, soit quasiment le territoire natif de la Révolution industrielle. Le choix a aussi été motivé par la volonté de produire une exposition respectant des principes de sobriété.
Trois lieux et la ville pour écrin
Axé autour du thème de l'énergie, l'ensemble porte le beau nom de «Chaleur humaine» et se décline en huit chapitres dispersés dans trois lieux - le Frac, le Laac et la Halle AP2 - et dans les rues de la sous-préfecture du Nord. En tout, plus de 250 œuvres sont dévoilées au public. De quoi assurer à chacun une découverte ou un coup de cœur. Il restera aux plus réfractaires les lieux d'exposition qui en eux-mêmes méritent le détour pour leurs qualités architecturales.
Côté œuvres, un des immenses mérites de cette série d'exposition est sa manière de mélanger des artistes contemporains reconnus avec de jeunes talents prometteurs. On peut ainsi par exemple dans la Halle AP2 s'immerger dans les sous-bois, une très belle installation visuelle et sonore réalisée par EEEE. Ce duo de jeunes diplômés des Beaux Arts de Dunkerque - Mathurin Van Heeghe et Alexis Costeux - ont imaginé un instrument inspiré de l'orgue dans une nature reconstituée (voir ci-dessous). Cette installation poétique s'inscrit dans le récit d'un explorateur qui visiterait la Terre dans le monde d'après l'industrie. Loin des visions apocalyptiques angoissantes, la proposition qui est faite dégage une sorte de sérénité.
D'autres jeunes artistes font le choix de l'humour et c'est tout aussi réussi. Quelque part entre la BD de création et les documents qualité qui s'affichent dans les usines, l'artiste Juliette Green pose la question de ce qui restera de nous après notre mort. Elle décline cette interrogation de décennies en siècles, puis en millénaires. La réponse peut surprendre, mais amène à sourire.
Humour et témoignages
Même impression après avoir vu l'installation de Hugh Nicholson, un jeune britannique, qui actionne un volet roulant en fonction des cours mondiaux du carbone. Chaque oscillation du marché fait se lever ou descendre de quelques centimètres ce volet, révélant ainsi une certaine absurdité des mouvements financiers qui ont pourtant un impact certain. Dans le même ordre d'idées, plusieurs pièces d'Eric Baudelaire sont aussi proposées, parmi lesquelles d'étonnants tableaux reprenant l'évolution de la température de la mer Baltique. Pour cela, il a recours à ce qui ressemble à de la cire de bougie, donnant une impression de finitude que l'humain veut trop souvent oublier. Il faudrait aussi citer le travail de Dominique Ghesquière, qui reconstitue une fausse dune de sable et sa végétation. Ou les travaux photographiques de LaToya Ruby Frazier, qui a recueilli les paroles d'ouvriers venus travailler dans le bassin minier et a photographié leurs mains.
A cela s'ajoutent des œuvres plus connues, réparties au fil des salles et des chapitres. Comment ne pas évoquer Hans Haacke et son MetroMobiltan dénonçant l'arrivée du PDG de Mobil au conseil d'administration du MoMa. Ou le monumental manteau (Sasa) de El Anatsui (voir ci-dessous), réalisé à partir de matières récupérées. L'œuvre de très grande dimension prend toute son ampleur dans l'espace où elle est exposée, avec une très belle hauteur de plafond.
Les temps ont changé
La richesse de cette triennale est telle qu'il est difficile de lui rendre pleinement justice ici. D'autant qu'il faudrait ajouter les œuvres commandées pour l'occasion et qui sont présentées dans la ville. Ou les lieux qui, comme l'incroyable bâtiment - un lieu de stockage en béton construit après guerre pour conserver les importations de vins venus d'Afrique du Nord - où une installation (que nous n'avons pas pu voir dans sa forme définitive) est prévue ainsi que des concerts. L'édifice est d'une beauté minérale, saisissante, qui vaut le détour !
L'approche conceptuelle retenue déroutera peut être des visiteurs appréciant un rapport plus direct, moins intellectualisé à l'art. Que ceux-là se rassurent. Loin d'être un détail, il faut louer la qualité des explications dispensées au fil des salles, que ce soit à l'entrée des différentes sections ou dans les cartels accompagnant les œuvres. Trop souvent, ce sont des monuments de charabia incompréhensibles. Louons donc l'intelligent travail de transmission qui a été ici fait : les explications sont très claires et accompagneront le visiteur pour une fois pris comme une personne intelligente et sensible. Rien que pour cela, la visite vaut le coup. En quittant Dunkerque, une évidence s'impose : les temps ont changé et si ce qui caractérise la modernité est la vitesse, le regard s'est métamorphosé en un temps assez court.
Chaleur humaine du 10 juin 2023 au 14 janvier 2024 Dunkerque (Fonds régional d'art contemporain Grand Large, Le Lieu d'Art et Action Contemporaine (LAAC) et la halle AP2