Cinq fois moins de bornes de recharges pour voitures électriques au sud du pays qu’en Flandre: pourquoi la Wallonie a deux de tension
Febiac et UWE alertent le sud du pays: il faut accélérer l’amélioration de l’infrastructure pour ne pas rater le train de la transition énergétique.
- Publié le 20-05-2023 à 10h17
En caricaturant à l’excès, on pourrait écrire que chercher une borne de recharge pour voiture électrique en Wallonie reviendrait à chercher une aiguille dans une botte de foin. Pourtant, la réalité du terrain ne laisse planer aucun doute sur la question : la Wallonie est clairement le parent pauvre en matière d’infrastructure d’électromobilité. Selon les données fournies par le tableau de bord de la mobilité en Belgique, né d’une collaboration entre la Fédération des entreprises belges (FEB) et la Febiac, on recensait, fin mars, pas moins de 14.326 stations de recharge électrique accessibles au public (100 % publiques mais aussi celles présentes sur les parkings de supermarchés, par exemple) en Belgique, chacune pouvant posséder plusieurs prises.
Avec une différence de taille qui témoigne de la vision politique des différents gouvernements régionaux en la matière : la Flandre hébergerait 10.549 de ces stations de recharge et Bruxelles 1850. La Wallonie, fin mars, n’en comptait que 1927 selon le chiffre de ce tableau de bord. À titre proportionnel, cela signifie que la Bruxelles hébergerait en moyenne 97 stations de recharge par commune, la Flandre 35 et la Wallonie seulement 7 ! Pis, les 38 communes ne disposant d’aucune station de recharge sont toutes situées en Wallonie. On est loin, très loin des recommandations de l’Europe en la matière.
Tant la Febiac que l’Union wallonne des entreprises se disent effarées par le retard pris par le sud du pays par rapport aux autres régions. Lequel pourrait agrandir un fossé déjà bien large en matière d’attractivité tant économique que touristique des différentes régions. “Pour être honnête, nous sommes un peu inquiets du déploiement des infrastructures de recharge publiques en Wallonie, indique Kris Gysels, chargé de communication à la Febiac. Le bon indicateur est d’une borne de recharge publique pour 10 véhicules électriques, ce ratio prenant en compte la possibilité de recharger à la maison ou au travail. Avec l’augmentation du nombre de véhicules électriques à très court terme (NDLR : suite à la décision du Fédéral de ne plus permettre une déduction fiscale à 100 % que sur les véhicules sans émission de gaz à effets de serre), nous craignons que la Wallonie n’en ait pas fini avec son déploiement d’infrastructures de recharge publiques, contrairement à la Flandre.”
"La pénurie de bornes n'est certes pas le seul argument qui fait qu'un investisseur viendra s'installer ou pas en Wallonie mais cela ne plaide pas en sa faveur. C’est un grain de sable de plus dans le bon fonctionnement d’une région. Et c'est un sujet sur lequel le gouvernement wallon doit rapidement appuyer sur l’accélérateur."
Un sentiment partagé par l’Union wallonne des Entreprises. Spécialiste des questions de mobilité au sein de l’UWE, Samuel Saelens estime que le retard pris en la matière par la Wallonie pourrait constituer un argument de plus en défaveur de celle-ci, en termes d’attractivité, alors même que le dernier rapport d’Ernest&Young (EY) rétrogradait la Belgique de la 6e à la 9e place des pays européens les plus attractifs pour les investisseurs étrangers. “L’attractivité d’une région, c’est un tout qui porte sur des coûts salariaux, le terrain, les coûts de l’énergie et bien d’autres facteurs, confie-t-il. Et on a un peu l’impression que le nombre insuffisant de bornes de recharge électrique constitue un élément de plus où la Wallonie est en retard. Ce qui n’est favorable d’un point de vue pratique ni pour les entreprises ni pour les utilisateurs de voiture électrique. Ce n’est certes pas le seul argument (NDLR : les taxes ou l’accessibilité sont sans conteste les éléments les plus importants) qui fait qu’un investisseur viendra s’installer ou pas en Wallonie mais cette insuffisance de bornes ne plaide pas en sa faveur. C’est un grain de sable de plus dans le bon fonctionnement d’une région. Et c’est un sujet sur lequel le gouvernement wallon doit rapidement appuyer sur l’accélérateur.”
Un plan pour arriver à 6.000 bornes publiques d'ici 2026
Un gouvernement wallon qui semble toutefois être sorti de l’état de léthargie dans lequel il semblait être plongé depuis le début de la législature. En annonçant un total de 6.000 bornes à l’horizon 2026. “La Wallonie est actuellement sous-équipée en bornes, admet-on au sein du cabinet du ministre wallon de la Mobilité, Philippe Henry. Cela constitue un frein auprès des citoyens qui hésitent à acheter un véhicule électrique. Ce plan vise à préparer la Wallonie à l’augmentation de la flotte de véhicules électriques dans les prochaines années et respecter ainsi les objectifs européens en la matière.”
Concrètement, indique le cabinet Henry, une cartographie a été dressée “pour encourager le développement raisonné et cohérent” des bornes dans l’espace public en milieu rural et en milieu urbain. Désormais, les communes peuvent faire installer des bornes sur base volontaire et bénéficient d’un modèle de marché public pour ce faire, tandis que des bornes rapides seront installées sur le réseau structurant (autoroutes et nationales) via la Sofico.
À terme, 3600 nouvelles stations de charge publiques seront installées en 2025, pour atteindre un total de 5700 points en 2026, dont 1000 subventionnés par la région wallonne “afin d’avoir un maillage d’une borne ultrarapide tous les 60km sur le réseau structurant” et 2000 sur le domaine privé accessible au public (supermarchés, stations-services,…“Le but est de répondre aux besoins estimés pour 77 000 véhicules électriques. Pour y arriver, un budget de 15 millions d’euros issus du Plan de relance wallon a été affecté.”
Les 5.700 bornes accessibles à terme seront-elles suffisantes pour répondre à la demande ? C’est presque deux fois mois que ce dont dispose, en 2023, la Flandre. Et tant la Febiac et l’UWE émettent de sérieux doutes en la matière. “6.000 bornes d’ici 2026, c’est fort court, confirme Samuel Saelens. Nous saluons le travail de fond en cours mais celui-ci doit s’accélérer, notamment au vu l’échéance du Fédéral sur les voitures électriques. Les échéances sont clairement identifiées. Cela fait partie des dossiers qui doivent avancer plus vite, notamment grâce aux moyens du plan de relance. Sans quoi le retard risque d’être très handicapant pour l’attractivité de la Wallonie pour les entreprises. La pénurie de bornes n’est certes pas le seul argument qui fera qu’une entreprise décidera de s’installer en Flandre plutôt qu’en Wallonie mais si on continue d’empiler des arguments en défaveur de la Wallonie, les entreprises s’installeront ailleurs. Pour des dossiers comme ceux-là, il faut que le gouvernement soit attentif et appuie sur l’accélérateur.”
"L'insuffisance de bornes publiques de recharge pourrait nuire jusqu'au tourisme wallon. Ce qui serait néfaste pour l'économie locale et régionale"
Kris Gysels abonde : “Nous apprenons de la Flandre qu’il faut au moins trois ans entre l’élaboration d’une vision politique concernant l’infrastructure de recharge et le déploiement effectif, et que 30 millions d’euros supplémentaires ont été mis à disposition pour cela en Flandre. On ne voit pas tout cela en Wallonie et cela nous inquiète. Cela posera surtout un problème dans les villes et centres-villes où il y a plus d’appartements et pas forcément de garages pour installer des prises. Si les entreprises ont des incitants fiscaux pour installer des bornes dans leurs parkings, tous leurs travailleurs n’y auront pas accès. Prenons l’exemple d’un commercial pour une société dont le siège est à Bruxelles mais qui travaille sur Arlon. S’il vit en appartement, il n’ira pas tous les jours à Bruxelles pour recharger sa voiture. Il faut donc des solutions. Et cela peut freiner la transition énergétique.”
À la Febiac, on estime que l’absence de bornes pourrait nuire jusqu’au tourisme régional. “Pas mal Néerlandais et de Flamands vont en vacances en Wallonie. Et s’ils n’ont pas, ou du moins pas en suffisance, de bornes électriques, ça peut être très problématique. Ils pourraient décider de se rendre ailleurs. Ce qui serait néfaste pour l’économie locale et régionale. 6000 bornes publiques d’ici 2026, c’est bien trop peu. Il faut faire de plus grands efforts.”