C’est un emblème de la ville de Tournai. La naïade - œuvre du sculpteur tournaisien George Grard* - avait disparu de son socle depuis quelques mois. Et pour cause, le bronze s’était abîmé au cours du temps teintant la statue en vert, mais aujourd’hui, elle retrouve ses couleurs d’antan et sa place au Pont à Ponts.
Une femme nue debout sur un socle semblant scruter l’horizon. Pour les tournaisiens ou les habitués de la ville aux cinq clochers, la Naïade est un personnage connu. Depuis plusieurs mois, elle se cachait de la vue des tournaisiens et tournaisiennes pour se refaire une beauté. Avec le temps, le bronze s’était oxydé et la Naïade était devenue toute verte.
Philippe Janssens s’est chargé de lui redonner de belles couleurs. Il l’a donc côtoyé pendant plusieurs mois. "Comme on est le nez dessus pendant plusieurs jours, on finit par apprécier les détails de modelage qu’on n’aurait pas vu en passant à côté de la sculpture", explique-t-il. "Il y a un rapport qui se crée parce qu’on voit toutes les traces techniques de l’assemblage de la sculpture. En tant que fondeur, moi je me régale de voir ce genre de choses".
Et puis, il y a quelques détails de l’œuvre qui interpellent : "Les poignets sont très simples, quasi des boudins. Par contre, il y a d’autres détails comme la forme des hanches, des seins, le creux des genoux ; c’est vraiment très particulier de voir cette justesse anatomique et cette volonté de marquer certains détails et pas d’autres".
Une dame qui a su s’imposer
Si aujourd’hui, la Naïade semble faire consensus, ça n’a pas toujours été le cas. En effet, il y a 70 ans, la jeune femme a défrayé la chronique. "Un marchand de vêtement s’offusque d’avoir un nu devant sa vitrine", explique Jacky Legge, historien local. Le journal "Le courrier de l’Escaut", qui est un journal catholique à l’époque, critique l’installation de la sculpture. L’évêché s’en mêle en disant que si la sculpture reste là, la grande procession ne passera plus par le pont à Ponts".
La polémique enfle. Il faut protéger le regard chaste des écoliers. On décide alors de couvrir la Naïade pour cacher sa nudité aux passants. Mais la nuit, des écoliers retirent le drap. La ville prend alors des mesures plus drastiques encore. "On décide que la statue sera déplacée au bas du pont entre deux peupliers", explique Jacky Legge.
La jeune femme sera donc écartée mais elle devient un passage incontournable pour le bizutage des militaires et des étudiants. "Il fallait aller caresser les seins de la Naïade", se souvient Jacky Legge.
Tournai assume
Il faudra attendre 1982 pour que la ville de Tournai décide enfin d’assumer l’œuvre. La Naïade retrouve son socle sur le pont à Ponts. Elle devient alors l’emblème du carnaval de Tournai et plus tard encore, le trophée du Ramdam festival. "Cette sculpture, elle fait vraiment partie de l’imaginaire des tournaisiens. Elle est un grand symbole de liberté", conclut Jacky Legge.
* George Grard (1901-1984) compte nombre d'œuvres dans les collections muséales belges et dans l'espace public. Sa Naïade, inaugurée en août 1950, unique exemplaire en bronze, a été restaurée par Philippe Janssens à l'atelier Pyrallis de Soignies.